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LA HAINE ET LE PARDON

Lors d'une séance de coaching, mon client, qui a été victime d'une grave injustice, me parle de sa haine et de sa souffrance. Au cours de la séance, on en vient à aborder les thèmes du pardon et de la résilience ce qui ma donné aujourd'hui l'idée de cet article. Le pardon est un concept complexe, parfois galvaudé, souvent mal compris. Il est intimement lié à la résilience, cette capacité à se reconstruire après une épreuve. Chacun chemine à travers le pardon de manière singulière, en portant son propre bagage émotionnel, ses craintes et ses espoirs. Je vais croiser deux perspectives : celle de la victime qui choisit ou non de pardonner et celle de l’auteur en quête de rédemption.
LA PORTÉE DU PARDON : UN ACTE PERSONNEL ET LIBÉRATEUR
Le pardon est souvent associé, à tort, à la simple phrase « Je te pardonne » qui viendrait effacer toutes les blessures. Pourtant, le pardon va bien au-delà d’une déclaration ou d’un sentiment passager. C’est un processus intime qui peut prendre du temps, surtout lorsqu’il s’ancre dans l’injustice, la souffrance ou le traumatisme. Il ne peut être imposé, ni par la société, ni par l’entourage. Il nécessite une démarche volontaire, un élan vers la libération intérieure.
Au cœur du pardon se trouve la volonté de s’affranchir de la haine, du ressentiment et de la souffrance qui nous lient à l’autre. Cette libération ne signifie pas que le geste ou la parole préjudiciable est minimisé ou qu’il n’y a plus de conséquences, c’est plutôt la décision de ne plus laisser l’offense – et son auteur – dicter notre état intérieur.
LA VICTIME
Lorsque l'on est victime, la première émotion qui surgit est souvent la colère, mêlée de tristesse et d’incompréhension. Il arrive que cette colère soit accompagnée d’un sentiment de honte – celui de n’avoir pas su se protéger ou de ne pas avoir anticipé le geste ou la parole qui nous a blessés. À cela s’ajoute parfois une culpabilité silencieuse : « Aurais-je pu faire autrement ? Ai-je ma part de responsabilité ? » Tout est donc réuni pour laisser la haine ronger l'avenir.
Le pardon, dans ce contexte, peut paraître inconcevable. Comment envisager de pardonner l’impardonnable ? Il s’agit pourtant d’un cheminement possible, qui ne commence pas par un grand geste de réconciliation, mais plutôt par la reconnaissance de sa propre souffrance et le droit de la faire exister. C’est dans cette étape que reconnaître « Je suis blessé », « J’ai été victime d’une injustice », « J’ai mal », que la victime amorce la première phase vers la résilience et ouvre la porte à une éventuelle démarche de pardon.
La résilience est cette faculté à rebondir après un choc, une épreuve. On la compare souvent à une forme de force intérieure, mais elle est plus subtile qu’un simple courage. Elle implique à la fois la prise de conscience de sa vulnérabilité et la volonté d’aller de l’avant. Se pardonner à soi-même son impuissance face au mal subi est souvent la première étape : s’alléger de la culpabilité de n’avoir pu éviter l’acte ou la parole blessante.
Une fois que la personne s’autorise à reconnaître la souffrance et à accepter sa vulnérabilité, elle peut choisir – ou non – de pardonner l’auteur. Il ne s’agit pas toujours de restaurer un lien, ni même de justifier l’acte. Pardonner, c’est avant tout refuser de laisser la blessure dominer le présent et déterminer l’avenir. C’est un acte de libération vis-à-vis du passé, pour permettre de se tourner vers soi, et éventuellement, vers les autres.
Le pardon peut exister dans un contexte où la relation est rompue ou distendue. Certaines personnes choisissent de couper définitivement tout contact avec l’auteur, tout en travaillant à leur propre libération intérieure. D’autres envisagent un dialogue ou une médiation, notamment lorsqu’il existe un enjeu important (familial, professionnel, parental...). Dans ce cas, il est crucial d’aborder la rencontre ou l’échange avec des tiers compétents (médiateurs, psychologues, justice réparatrice, etc.) pour éviter toute réactivation violente du traumatisme.
L'AUTEUR
Pour l’auteur d’un acte préjudiciable, la notion de pardon est souvent associée à la culpabilité et au désir de rédemption. Qu’il s’agisse d’un acte commis en toute conscience ou sous l’emprise d’une impulsion ou lors de troubles liés à l'usage de substances, prendre la mesure de la souffrance infligée à autrui peut constituer un choc, voire un tournant psychologique majeur. Le chemin vers le pardon, lorsque l’on est responsable d’une faute, passe généralement par plusieurs phases :
- Reconnaître son acte : admettre que ce que l’on a fait était injuste, blessant ou destructeur.
- Prendre conscience des conséquences : comprendre l’ampleur de la souffrance que l’on a causée.
- Éprouver du remords : un sentiment sincère de regret et de volonté de faire amende honorable.
Cette prise de conscience peut être douloureuse mais elle est essentielle pour entamer un processus de changement intérieur et de réhabilitation. Ensuite, demander pardon ce n'est pas prononcer des mots d’excuse pour se donner bonne conscience. Le pardon, pour être vrai et réparateur, doit être formulé sincèrement et soutenu par des actions concrètes. Un auteur en quête de rédemption ne doit pas s’attendre à être absous : pardonner demeure un droit, jamais une obligation de la victime.
Des gestes réparateurs (financiers, juridiques, émotionnels, etc.), la constance et la transparence dans la démarche sont nécessaires pour instaurer un climat de confiance. Il n’y a pas de rédemption toute faite. Elle se construit pas à pas, et peut demeurer incomplète si la victime ne souhaite pas ou ne peut pas accorder son pardon.
QUELQUES RÉFLEXIONS..
L’une des grandes confusions autour du pardon est de croire qu’il s’oppose à la justice. Or, ces deux notions sont complémentaires : La justice poursuit un objectif de réparation sociale ou judiciaire. Elle reconnaît la faute et en tire des conséquences légales. Le pardon, lui, est d’ordre personnel et émotionnel. Il agit comme un levier de transformation intérieure.
Ainsi, une victime peut parfaitement porter plainte, obtenir réparation devant la loi, tout en entamant un chemin de pardon. De même, un auteur peut se conformer à ses obligations pénales, tout en demandant sincèrement pardon, sans voir ce geste assimilé à une tentative de se soustraire à la justice.
Le pardon est un véritable chemin : tortueux, long, souvent jalonné de doutes. C’est un acte intime qui répond à un besoin de se libérer du poids du passé. Pour la victime, il peut être un outil puissant de résilience, permettant de se reconstruire et de reprendre en main son destin. Pour l’auteur, il est un tremplin vers la rédemption et la responsabilisation.
Le pardon ne cautionne pas la violence ni l’injustice. Au contraire, il reconnaît la souffrance, la fait exister pleinement, mais offre également la possibilité de ne plus en être prisonnier. Pardonner, c’est se donner la chance de sortir du statut de « victime » ou d’« agresseur » pour renouer avec son humanité profonde, à la fois vulnérable et capable de se dépasser.
En fin de compte, chaque personne détient la clé de son propre cheminement. Il n’existe pas de « bonne » ou de « mauvaise » façon de pardonner : c’est une exploration personnelle, influencée par l’histoire, la culture, la sensibilité de chacun. L’essentiel demeure le respect de soi et des autres, la conscience de la souffrance causée ou subie, et la volonté de faire de cette épreuve un point de départ vers un nouvel équilibre. C’est sans doute en cela que résident le vrai sens du pardon et la force de la résilience.