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Tendance Gen Z : le digital dumb-workplace - Un management plus clair
Le mouvement des dumbphones est porté par celles et ceux qui délaissent - parfois partiellement - le smartphone au profit de téléphones très simples (appels/SMS, presque pas d'apps) pour reprendre le contrôle de leur attention. En clair : moins d'écrans, moins de notifications, plus de calme. Ce n'est pas un raz-de-marée industriel, mais une tendance culturelle visible, notamment chez les 15-30 ans.
De ce mouvement naissant, on peut transposer un état d'esprit à l'entreprise et au management.
Un constat. Pas une lubie
Les agences et observatoires européens sonnent la même cloche : l'hyper-connexion fragilise la santé et la qualité du travail. L'EU-OSHA documente la montée des risques psycho-sociaux liés aux outils numériques et au brouillage des frontières vie pro/vie perso ; Eurofound a montré que le télétravail et le travail "connecté" apportent flexibilité mais accroissent le stress si l'organisation ne fixe pas de limites claires. En 2025, l'EU-OSHA a encore pointé la sédentarité et la pression numérique comme risques majeurs.
En France, l'Observatoire de l'infobésité et de la collaboration numérique (OICN) compile des données massives d'emails et de réunions : surcharge informationnelle, travail hors horaires, fatigue cognitive. Leur référentiel annuel et les synthèses dans la presse rappellent l'évidence que beaucoup d'équipes vivent au rythme des notifications, au détriment du travail de fond.
Ajoutons les retours d'expérience "terrain" : l'ANACT et l'INRS plaident pour des règles d'usage des outils, de la formation des managers, et des temps de récupération réels. Ce n'est pas militant : c'est de la prévention et de l'efficacité.
Ce que recouvre un digital dumb-workplace
C'est une organisation qui choisit de limiter ses outils, d'apaiser ses canaux, et de privilégier l'écrit clair. Pas d'anglicismes à rallonge : une pile d'outils courte, des notifications sur demande, de l'asynchrone par défaut et des réunions pensées comme l'exception qui résout un point précis. C'est aussi du droit du travail appliqué. Bref, le cadre existe ; à nous d'en faire une pratique.
Études de cas
PME industrielle (Hauts-de-France)
Point de départ : 12 outils de collaboration, cinq fils de discussion permanents, réunions d'alignement quotidiennes. Le dirigeant tranche : une seule plateforme documentaire, un outil de tâches, un canal d'équipe unique et des plages de travail sans interruption chaque matin. Les notifications deviennent opt-in (mention explicite = alerte, sinon silence). Trois mois plus tard, le nombre de messages/jour/personne chute, et on observe une remontée des heures de travail de fond. On n'invente rien : la littérature lie réduction des interruptions et baisse de la fatigue, avec des bénéfices sur la qualité et la sécurité.
ETI de services B2B
La direction assume deux journées "sans réunion" par semaine. Les autres jours, chaque rendez-vous est limité et préparé par une note de contexte partagée. Résultat : moins de re-travail, des décisions plus rapides, et un apaisement des tensions d'agenda. Dans un paysage où télétravail et "travail connecté" peuvent dégrader l'équilibre vie pro/vie perso si l'on ne pose pas de garde-fous, cette discipline redonne de l'autonomie sans sacrifier la coordination.
Collectivité territoriale
Objectif : mettre enfin en musique le droit à la déconnexion. Un seul canal d'urgence (astreinte), plages de silence configurées sur les outils, bannière automatique qui prévient l'expéditeur si un message sort des horaires, et charte signée. Ce n'est pas qu'une charte symbolique : c'est conforme aux textes français et ça se voit rapidement sur les baromètres internes (réduction des messages hors plage, meilleures récupérations).
Groupe industriel
Certaines entreprises ont tenté des gestes très concrets pour sanctuariser les temps de repos : Volkswagen a limité l'acheminement d'emails en dehors des horaires pour une partie de ses salariés en Allemagne ; Daimler a offert l'option de suppression automatique des emails reçus pendant les congés. Des choix radicaux ? Oui. Mais ils montrent qu'on peut desserrer la vis sans effondrer la coordination, à condition d'être clair sur les exceptions et l'astreinte.
Grande ESN française
Le programme "zéro email interne" d'Atos n'a pas supprimé le mail partout, mais il l'a fait reculer d'environ 60 % au profit d'outils plus adaptés, avec une forte montée de la collaboration écrite structurée. Message utile : viser moins de mail sans fétichiser l'outil, c'est jouable.
Mode d'emploi
Pas de dogmatisme mais de la fermeté
- On commence par regarder la réalité : combien d'outils par rôle ? combien de messages par jour ? quelle part de la semaine en "coordination" plutôt qu'en production ? Les référentiels OICN et les études de cabinets français (Lecko, Wavestone) donnent des repères et des méthodes pour cartographier les usages et éviter l'infobésité.
- Ensuite, on simplifie. Un socle restreint d'outils, une source de vérité pour les documents, une pour les tâches, un canal par intention (urgence, questions, décisions). Puis on inversent les notifications : par défaut, c'est le silence ; pour déranger, il faut une mention explicite ou passer par l'astreinte. Cette inversion protège l'attention, ce que confirment les travaux européens sur l'effet délétère des interruptions répétées.
- Enfin, on réhabilite l'écrit soigné. Avant une réunion, une courte note de contexte ; après, une décision tracée. En télétravail, Eurofound recommande depuis des années de formaliser les règles : horaires, modalités de contact, limites claires. C'est prosaïque, et très efficace.
Objections honnêtes, réponses nettes
→ "On va rater des infos."
Aujourd'hui, vous en ratez déjà : noyées dans le flot. Un canal unique par intention et des délais de réponse convenus réduisent l'entropie. Les études européennes sur télétravail et disponibilité permanente convergent : non régulé, le numérique use les personnes et affaiblit la qualité.
→ "Nos métiers exigent du temps réel."
D'accord : gardez-le, mais au bon endroit (astreinte, numéro unique, règles). Le reste passe en asynchrone. Ce n'est pas "moins" de service ; c'est mieux réparti.
→ "Ce n'est pas notre culture."
Alors posez un test de 30 jours : mesure avant/après, ajustement, et vote du comité de direction. Si les chiffres (messages, réunions, interruptions, délais de livraison, santé perçue) ne s'améliorent pas, vous revenez en arrière. Mais ça vaut le coup de tester : l'expérience européenne montre que la régulation - droit à la déconnexion, règles de contact, outillage sobre - fonctionne.
Un mot d'espoir
Oui, on peut se passer du "tout-app-tout-le-temps". Non, vous n'êtes pas condamnés à jongler entre douze fenêtres pour décider d'un oui/non. Les pionniers européens l'ont prouvé, parfois de manière spectaculaire, parfois en ajustant patiemment les usages.
Au fond, le digital dumb-workplace proposé par une partie de la Gen Z, c'est l'art d'oser dire : "assez". Assez de bruit. Assez d'outils redondants. Et beaucoup plus de clarté.
Pour aller plus loin :
Droit à la déconnexion : comment le mettre en œuvre dans l'entreprise ?
Infobésité et surcharge : OICN (référentiels 2023-2025), synthèse Le Monde 26 juin 2025
Risques psychosociaux : l'excès de numérique nuit à la santé au travail
Télétravail, risques et limites : Eurofound (télétravail et travail mobile : effets sur santé, équilibre vie pro/vie perso)
