Quand la passion devient destructrice

Ce métier, Aurélie en rêvait ! La recherche ! Enquêter, étudier, écrire des articles, communiquer les résultats. Parvenir à décrocher un poste représentait une série d'épreuves demandant la volonté, le talent et la passion d'un sportif de haut niveau. Aurélie a réussi. Sa thése de psychologie en poche (il était question d'heuristique cognitive), elle a décroché le Graal : un poste d'enseignante chercheure.

Rapidement, elle s'est vu confier un gros budget de recherche sur un projet. Elle s'est investie à fond, comme d'habitude. D'ailleurs, dans la recherche, on ne peut pas faire les choses à moitié.

Puis, il y a un an, la belle mécanique s'est enrayée. Aurélie travaille de plus en plus : le labo, les cours, les articles, les appels à projet, les colloques et le livre qu'elle rédige à partir de sa thèse. Aurélie est passée en surrégime. Un cap a été franchi. Aurélie est désormais totalement engloutie par un travail : plus de sorties, plus de soirées libres, plus de moments de détente. En quelques mois, Aurélie est passée de la passion harmonieuse à la passion obsessionnelle.

Car la passion n'est pas toujours harmonieuse. Elle a aussi un côté obscur. Parfois, elle consume, isole, épuise les forces vitales. Roger Vallerand, professeur de l'université de Québec, est l'un des principaux noms dans le domaine de la psychologie de la motivation. Ses recherches sur la psychologie du sport ou des professions sont passionnantes et font référence. Il fait partie de ceux qui ont élaboré la distinction entre motivation intrinsèque (venant de soi-même) et extrinsèque (récompense, punition, pression sociale) dans le sport, les études et le travail.

Jusque-là, les spécialistes considéraient que la motivation intrinsèque était toujours source d'épanouissement. C'est d'ailleurs encore trop souvent un écueil et une croyance dangereuse de nombreux "spécialistes" auto-proclamés du développement personnel : "Faites ce que vous aimez et vous serez heureux". Oui mais non : c'est un peu plus complexe que ça.

Dans les années 2000, on a commencé à s'inquiéter de "workaholism", de sportifs amateurs qui s'épuisaient à l'entraînement. On a compris que dans tous les secteurs d'activité, certains poussaient la machine trop loin au point de détruire leur santé et de se couper de leur entourage. Roger Vallerand a conçu un "modèle dualistique" qui oppose les passions harmonieuses et les passions obsessionnelles. Ce modèle a fait l'objet de nombreuses enquêtes dans le domaine du sport et du travail.

Quand on aime, on ne compte pas.. C'est le propre de la passion. Aurélie ne comptait ni ses heures, ni son énergie qui semblait inépuisable. Mais un moment est venu où son travail a tout envahi : son sommeil, ses loisirs et ses relations avec son compagnon.. Et son rêve s'est transformé en cauchemar.

Aujourd'hui, après seulement cinq séances de coaching individuel, Aurélie a retouvé l'équilibre entre vie pro et vie perso. Elle a clairement fait le tri dans ses priorités, dans ses valeurs, dans ce qui la motive vraiment. Elle a fait quelques belles découvertes sur elle-même. Elle a également identifié des garde-fous solides pour l'avenir. Et à l'heure où j'écris ce billet, Aurélie -qui m'a donné des nouvelles la semaine dernière- vit maintenant ses passions professionnelles et personnelles en harmonie et dans la sérénité.